Elles ont des noms à l’ancienne un peu démodés, Pénélope, Philomène, Blanche, Rosalie … Elles ont des enfants en bas âge et aussi des plus grands, parfois déjà des petits enfants. Des enfants à la maison et des enfants au pays. Des enfants pour qui elles font tout, pour qu’ils aient une vraie chance dans la vie.
Elles font les métiers que personne ne veut faire. Des ménages dans des bureaux, le matin de bonne heure ou le soir tard, dans les chambres des hôtels, les couloirs du métro. Vous les croisez sans les voir, sans savoir. Elles courent d’un enfant à un boulot, d’un boulot à un autre, d’un boulot à la crèche, et des fois repartent travailler le soir en laissant la garde des petits aux plus grandes.
Elles ont une énergie phénoménale et se débattent pour tout. Les papiers. Le droit au séjour. Le droit au travail. Un contrat pas trop précaire. Passer un permis de conduire. Quitter la cité pour donner un espace de vie plus calme à leurs enfants. Vivre leur vie de femmes libres. Aller à la capitale consulter le chirurgien qui répare les victimes de l’excision. Découvrir le plaisir d’être une femme.
Elles font tourner la maison, et économisent de l’argent pour envoyer au pays. De l’argent aussi pour voyager avec les enfants, pour aller voir ceux qui sont au pays, les enfants là bas, les parents, les anciens. Parfois aussi elles rentrent au pays pour des funérailles, une sœur qui a la même maladie qu’elles mais qui n’a pas pu être traitée. Ou les «évènements» au pays ont emporté un frère, un oncle, un cousin.
Vu comme ça, ce n’est pas drôle, vous devez penser ?
Et bien ce sont mes préférées. Elles arrivent toujours avec un sourire flamboyant. Elles rient au moindre prétexte. Elles disent que la vie est belle, docteur, regarde comme je vais bien et mes enfants sont beaux. Quand il fait chaud elles mettent leurs robes de couleur, et certains après midi d’été la salle d’attente est transformée en palette colorée, pleine de rires et d’enfants en poussette.
Mais si elles disent juste avec un petit sourire «ça va un peu», attention, il faut s’arrêter vite et creuser. Parce que si je vous raconte comment c’est quand «ça va un peu», là c’est sûr, on se met tous à pleurer. Heureusement c’est rare.
Quand je leur dit que leurs robes de couleur me plaisent, elles me font envoyer une tenue par leur sœur qui est au pays.
Quand je leur dit qu’elles forcent mon respect, elles rient.
Tili
septembre 13, 2011
J’espère que tu les portes, les boubous !
Moi, souvent, c’est super confortable.
Je souhaite qu’un jour elles ne soient plus obligées de quitter le pays pour survivre, laissant la plus grosse partie de leur cœur là bas. Je souhaite que là bas aussi ils puissent avoir des soins de qualité, des vrais soins de qualité, pas un excuse pour dire qu’on va les refuser ici… :-§
Mais bon… il parait que je serait utopiste… en tous cas en ce moment la réalité est très rude, il vaut mieux être utopiste dans ce cas. En plus parfois l’utopie c’est contagieux, alors…
Dr kpote
septembre 14, 2011
Faudrait l’envoyer au ministère de l’intérieur (sans majuscule SVP) ton texte, accompagné d’un kaléidoscope de sourires du monde…
mamanpoissons
septembre 14, 2011
@Tili : tu le sais, on s’est beaucoup battus … maintenant 1 Africain(e) sur 3 qui en ont besoin bénéficie d’un traitement dans son pays d’origine. Ce n’est pas encore un verre à moitié plein mais c’est beaucoup de chemin. Espérons que nous continuerons à avancer. Moi aussi je suis utopiste, sinon je quitte !! Et OUI, je porte les boubous, en été quand il fait chaud 😉
@Dr kpote : crois moi, on a essayé de lutter, sénateurs, députés, presse etc … cela n’a pas empêché la loi d’être votée … Et pourquoi t’écris plus, toi ?
Dr kpote
septembre 14, 2011
Une grosse fatigue, une belle flemme ou rien d’intéressant à raconter… ou un peu des trois. Mais c’est reparti pour un tour.
Elisabeth
septembre 15, 2011
j’aime beaucoup les boubous et leur couleur aussi….
Très joli texte….
Tili
septembre 17, 2011
Eh, oui, il y a eu des progrès. Tu noteras cependant que dans le rapport 2010 de l’ONUSIDA ils disent que 35% ont accès à des traitements…. Pas ont accès à des traitements « ADAPTES » vu que … Enfin bon, c’est quand même un sacré progrès, c’est sûr et j’en suis heureuse aussi. Par contre, il y a des pans entiers qui sont complètement négligés, bien sûr je prêche pour ma paroisse mais le Neuro-VIH ils n’ont même pas les outils pour le détecter !
Mais peut être que, hein, si jamais…
Dr kpote, je découvre ton blog, marrant 🙂 Ben faut écrire, aller 🙂
Dr kpote
septembre 27, 2011
Merci Tili 🙂
Babeth
septembre 29, 2011
C’est beau. Merci.
Alice =)
octobre 3, 2011
L’espace d’une seconde, vos patientes ont débarqué dans la salle, une s’est assise juste au bord de mon ordi, les autres sur les tables autour. C’est tellement plus convivial d’être assises sur les tables plutôt que sur les chaises… Et ça tcharrait, ça papotait, ça riait, tout ça dans les vives couleurs des boubous super wax et les gamins qui se chamaillent. Superbement écrit. Je ne les connais pas, mais elles forcent le respect et cet article est superbe. Merci.