Dans ma panoplie de docteur il y a une blouse blanche, un stéthoscope, des stylos, une petite lampe qui s’allume quand elle veut, et mon pilulier magique qui contient tout ce que je prescris habituellement pour que vous voyiez bien à quoi ressemblent ces comprimés. Mais il me manque un outil. Je crois que je vais finir par me le fabriquer. Ce serait un petit panneau. Je pourrais le brandir à certains moments de la conversation. Dessus j’écrirais quelque chose comme « Au-delà de cette limite je ne vous crois plus », « no tresspassing », ou tout simplement « blah, blah, blah ». Ce serait vraiment utile …
Je pourrais le montrer au grand monsieur qui m’explique que si si, bien sûr, depuis 4 ans que je ne l’ai pas vu il a toujours suivi le traitement, avec la seule ordonnance pour 3 mois avec laquelle il est parti la dernière fois.
A celle qui me jure croix de bois croix de fer qu’elle prend bien les médicaments. Même si son bilan biologique est pire sous traitement qu’avant que je ne le lui prescrive. Et qu’il n’y a pas un micro-milligramme de médicament dans son échantillon sanguin.
A celui qui m’explique qu’il ne comprend pas. Son ami était négatif, lui aussi, tout allait bien, ils sont très très très très sérieux, ils font des tests tous les ans. Mais voilà, son ami est infirmier, et il se coupe souvent les doigts. Voilà pourquoi cette semaine ils consultent tous les deux pour une séropositivité de découverte récente. C’est un accident du travail, docteur vous savez comment sont les conditions de travail à l’hôpital, ça porte à la faute.
Ou à l’autre qui ne comprend vraiment pas comment il a attrapé la syphilis vu que vraiment la sexualité c’est pas son truc.
Ou encore à celui qui en 28 ans de mariage n’a jamais trompé sa femme avec une autre femme …
A tous ceux qui pensent qu’après 25 ans de pratique, ils vont me faire avaler leur bobard mal ficelé. Ils doivent bien le voir à ma tête, quand même, que je ne suis pas tombée avec la dernière pluie ??
Anne
mai 11, 2011
Peut-être qu’ils ont besoin d’y croire, eux, à leur mensonge. Parce qu’assumer leur vérité ne leur donne pas une image d’eux qu’ils ont envie de regarder ?
Alors toi, tu sers juste d’une sorte de miroir qui donnerait de la vérité au mensonge…
Sauf que.
Eric
mai 11, 2011
Sauf qu’on n’est pas là pour leur servir la soupe. Moi je dis.
Être pris pour un con est une chose. Se laisser passer pour un con en est une autre. La confiance, c’est pas à sens unique.
mamanpoissons
mai 11, 2011
@Anne : oui, ils veulent se (ou me ?) donner l’image du « bon patient » modèle qui fait tout bien comme ils pensent que la docteure le veut. Bonjour la relation pourrie ensuite … Comment peuvent-ils imaginer qu’ils auront une bonne prise en charge (enfin, une aussi bonne que je sache faire) s’ils me cachent les trucs importants ??
@Éric : C’est clair, faut pas les laisser croire que je les ai crus. Avec ceux que je connais bien c’est facile, un regard qui dit que non-là-ça-va-pas-du-tout, ou un message pseudo-humoristique qui dit fous-toi-pas-d’ma-gueule, et hop, déminage. Mais avec ceux qui arrivent et avec qui la relation n’est pas établie, bonjour le faux départ !!
Tili
mai 24, 2011
Ils ont peur de ton regard, de celui de la société peut être, de se sentir jugés. Ils ne comprennent pas bien les implications de cela.
Mais je suis sûre que tu sais déminer avec humour ou rassurer quand tu perçoit le stress. Pas toujours évident…
J’ai presque toujours accueilli ces « vérités de façade » avec gentillesse, en rappelant que je suis tenue au secret professionnel et que rien ne me choque.
Je dit « presque » parce que une fois, je n’ai pas pu.
L’homme refusait que l’on examine sa femme, manifestement malade, et ses jeunes enfants, dont un au moins semblait malade aussi, il voulait qu’on s’occupe seulement de lui… Il terrorisait sa femme. Comme moi je le voyais uniquement dans le cadre d’un protocole de recherche, mais qu’il voulait absolument mon examen, j’ai posé ma condition… Le voir seulement après qu’il ait laissé sa femme et ses enfants se faire examiner…
La suite tu la devine, c’était évident…
J’en ai gardé un souvenir amer. J’ai toujours essayé d’être ouverte et tolérante mais cette fois là, j’ai échoué. 😦
Dr kpote
mai 27, 2011
Quand je bossais à Sol En Si, il y avait toujours ce temps de blah blah, mélange de déni et de peur d’être jugé. Pour certains, ça n’évoluait pas et en général, il fuyait la prise en charge associative, et probablement la prise en charge médicale. La grande majorité finissait quand même par baisser la garde et partager la vérité.
Là où c’était compliqué, c’est quand le type te maintenait qu’il n’était pas séropo alors que ses deux femmes et ses trois gosses étaient contaminés… Même avec les ethno-psys, on n’y arrivait pas et c’était compliqué de rester dans ce fameux non-jugement, pierre angulaire du counselling…